Projet de loi asile et immigration : quels possibles impacts sur l’immigration professionnelle ?
Gérald Darmanin a exprimé sa volonté de vouloir « contrôler l’immigration » et « améliorer l’intégration » lors de l’enregistrement au Sénat du nouveau projet de loi asile et immigration et lors de sa présentation en Conseil de Ministres le 1er février 2023. Le 22 mars 2023, Emmanuel Macron a annoncé le report de son examen au Sénat et un probable découpage du texte.
ITAMA va suivre de près les prochains développements mais il est intéressant d’analyser ce que propose la version initiale du projet et les impacts potentiels sur l’immigration professionnelle. Voici quelques éléments d’éclairage.
Les grandes lignes du projet initial
1 – Chronologie
Annoncé par le gouvernement en août 2022, le projet de loi asile et immigration a été présenté en Conseil des ministres le 1er février 2023. Gérald Darmanin et Olivier Dussopt ont ensuite été auditionnés par la commission des lois du Sénat le 28 février. Dans le cadre d’une procédure accélérée, le projet a été examiné par le Sénat, et 243 amendements ont été déposés. Il devait être débattu en séance publique les 28, 29 et 30 mars, puis à l’Assemblée nationale en avril/mai 2023. Le 22 mars 2023, un découpage du texte et le report de son examen au Sénat ont été annoncés par Emmanuel Macron. Aucune nouvelle date n’est précisée pour le moment.
2 – Les grandes lignes
Le projet initial est composé de 27 articles (version du 15 mars 2023 résultant des amendements adoptés en commission des lois du Sénat). Selon le gouvernement, les mesures concernées visent à mieux maîtriser l’immigration, à faciliter l’intégration des étrangers régulièrement installés en France et à améliorer l’efficacité des procédures d’expulsion pour les étrangers en situation irrégulière. Le texte propose par exemple la création d’un statut « talent – porteur de projet » regroupant les statuts « passeport talent / création d’entreprise », « investisseur » et « projet innovant reconnu par un organisme public », ou encore la création du titre de séjour « travail dans les métiers en tension ».
ITAMA a analysé les articles du projet de loi initial en lien avec l’immigration professionnelle.
L’analyse d’ITAMA sur les principales mesures du 1er projet
1 – Maîtrise de la langue française avec obligation de résultat
- Ce qui changerait :
Cette première mesure concerne l’intégration des ressortissants étrangers. Parler la langue du pays d’accueil est un facteur essentiel d’inclusion. Dans cette optique, les demandeurs de carte de séjour pluriannuelle devraient justifier d’un niveau de maîtrise de la langue française précis pour l’obtenir. Cela ne s’appliquerait pas à tous les profils, mais impacterait par exemple les salariés, les entrepreneurs et les professions libérales. Dans le cas où cette partie du texte serait retenue, le niveau de langue demandé devrait être précisé par décret.
- L’avis d’ITAMA :
Il existe déjà un dispositif de test de langue. Il n’y a donc pas de réel changement. Si cette mesure est préservée, un décret précisant les modalités en termes d’obligation de résultat serait nécessaire.
2 – Possibilité par l’employeur de financer la formation de langue française
- Ce qui changerait :
Pour le moment, les formations en langue française pour les ressortissants étrangers sont payées et prises en charge par l’état. Cette modification permettrait aux employeurs de les financer et donc de choisir la structure de formation.
- L’avis d’ITAMA :
En pratique, il est trop tôt pour savoir comment cela se mettrait en place. Le projet de loi propose d’utiliser le CPF (compte personnel à la formation) du salarié, mais cela n’est pas possible s’il vient d’arriver en France et n’a donc pas de solde. De plus, le financement par l’employeur ne serait pas obligatoire. S’il choisit de ne pas le faire, l’état la prendrait automatiquement en charge. Il y a donc pour le moment peu de raisons pour l’employeur de le faire. Dans le cas où cette mesure serait retenue, il faudrait attendre plus de précisions.
3 – Formation de langue française comptée comme temps effectif de travail
- Ce qui changerait :
Afin de régulariser les pratiques sur l’ensemble des secteurs, une durée de formation linguistique hebdomadaire maximale pour les ressortissants étrangers serait proposée. Durant ce temps, le salarié serait rémunéré.
- L’avis d’ITAMA :
La formation est déjà prise en compte comme étant du temps de travail. Il n’y a donc pas de changements à ce niveau-là. En ce qui concerne l’uniformisation du temps maximal de formation, cette nouveauté apporterait une harmonisation plutôt bienvenue.
4 – Création du titre de séjour « travail dans les métiers en tension »
- Ce qui changerait :
Pour répondre à la pénurie de main d’œuvre en France, le 1er projet propose un nouveau titre de séjour valant permis de travail et valide 12 mois. Pour l’obtenir, le ressortissant étranger devrait avoir séjourné en France pendant 3 années consécutives et avoir travaillé 8 mois au cours des 2 dernières années (soit 8 fiches de paie en 24 mois) dans un métier et une zone géographique en tension. Avant son expiration, le ressortissant pourrait demander un autre titre de séjour (« salarié » ou « travailleur temporaire » par exemple). S’il est validé, ce nouveau statut « travail dans les métiers en tension » serait tout d’abord en phase de test. Il pourrait être supprimé après un bilan s’il a atteint ses objectifs et donc plus de pénurie de main d’œuvre dans les secteurs et les zones concernées.
- L’avis d’ITAMA :
Cette mesure permettrait de régulariser les ressortissants ne possédant pas de titre de séjour adapté. Attention, ce n’est pas du long terme, ce statut serait uniquement temporaire.
5 – Une liste des métiers en tension actualisée annuellement
- Ce qui changerait :
Chaque année, le gouvernement déterminerait les besoins en main d’œuvre et actualiserait la liste. Parmi les potentiels ajouts se trouvent les secteurs de l’hôtellerie-restauration, du bâtiment, de l’aide à domicile et de la petite enfance. Pour rappel, la liste des métiers en tension peut varier d’un département à l’autre. Elle s’adresse aux étrangers non-éligibles au dispositif de passeports talents.
- L’avis d’ITAMA :
La liste des métiers en tensions actuelle n’est pas précise et n’a pas été mise à jour depuis le 1er avril 2021. Cette promesse d’actualisation régulière serait donc la bienvenue.
6 – Facilité de l’accès au travail pour les demandeurs d’asile
- Ce qui changerait :
Actuellement, les demandeurs d’asile arrivés sur le territoire doivent attendre 6 mois sans pouvoir travailler. Similaire à ce qui est déjà proposé pour les ressortissants ukrainiens, les ressortissants des pays les plus vulnérables pourraient bénéficier du droit de travailler dès leur arrivée. Ils n’auraient pas à demander de permis de travail. La liste des pays concernés serait mise à jour tous les ans.
- L’avis d’ITAMA :
Cette disposition permettrait aux réfugiés de pouvoir survenir à leurs besoins en attendant le traitement de leur demande d’asile. Leur intégration serait favorisée et plus rapide.
7 – Statut auto-entrepreneur accessible après vérification du titre de séjour
- Ce qui changerait :
Pour obtenir le statut d’auto-entrepreneur, il suffit aujourd’hui de s’inscrire sur le portail pour déclarer son activité et obtenir un numéro équivalent au SIRET. À ce jour, cette démarche ne permet pas de vérifier si le demandeur ressortissant dispose d’un titre de séjour autorisant une activité commerciale. Le projet de loi initial propose de bloquer l’accès au statut pour les ressortissants étrangers ne possédant pas le bon type de titre de séjour.
- L’avis d’ITAMA :
Cette mesure montre la volonté de l’État de renforcer les contrôles et le dialogue entre les administrations impliquées. Les fraudes seraient donc réduites. Elle s’appliquerait en particulier aux auto-entrepreneurs des entreprises de livraison de plats cuisinés, qui ne détiennent pas systématiquement un titre de séjour leur permettant d’effectuer ce type d’activité professionnelle.
8 – Création du statut « talent-porteur de projet »
- Ce qui changerait :
Il s’agirait d’un nouveau statut « 3 en 1 » comprenant :
-
- Le statut « passeport talent – création d’entreprise », nécessitant un diplôme niveau master, 5 ans d’expérience professionnelle et un projet économique sérieux.
- Le statut « investisseur », pour un investissement économique direct d’au-moins 300 000€.
- Le statut « projet innovant reconnu par un organisme public ».
- L’avis d’ITAMA :
Chacun de ces 3 statuts implique aujourd’hui une démarche administrative différente. Une harmonisation permettrait de simplifier les démarches.
9 – Le terme « passeport talent – sous-catégorie » remplacé par « talent – sous-catégorie »
- Ce qui changerait :
Il ne s’agirait pas d’un nouveau statut, mais simplement d’un changement de dénomination.
- L’avis d’ITAMA :
Le terme « passeport talent » crée trop de confusion pour les ressortissants étrangers qui ne comprennent pas la différence avec un passeport classique. Ce serait donc une clarification utile.
10 – Création du titre de séjour « talent – profession médicale de la pharmacie »
- Ce qui changerait :
Suivant la nouvelle dénomination « talents », une nouvelle catégorie de passeport talent s’adresserait aux médecins, chirurgiens-dentistes et sage-femmes. Ce titre serait valide pour une durée de 13 mois à 4 ans. Attention, il serait uniquement valable pour les établissements publics ou privés à but non-lucratif, et non pour les cliniques privées.
- L’avis d’ITAMA :
Cette mesure serait bénéfique en raison de la pénurie de main d’œuvre dans le secteur de la santé en France. Nous ne savons pas encore comment seraient organisées les commissions traitant l’autorisation d’exercer, ni quel serait le niveau minimum de rémunération. Dans le cas où cette partie du texte est retenue, il faudrait donc surveiller les modalités pratiques d’application de cette mesure.
11 – Devoir de respect des principes de la République Française pour renouveler un titre de séjour
- Ce qui changerait :
Pour être éligible à tout type de titre de séjour, le respect de principes républicains serait imposé. Par cela, le gouvernement entend la souscription aux valeurs telles que la liberté d’expression, l’égalité homme-femme, ou encore la liberté personnelle. Cet engagement devrait se faire peu importe la durée de validité du document de séjour demandé. Les cas de figures donnant lieu à une OQTF (Obligation de quitter le territoire français) seraient élargis en cas de non-respect de ces valeurs.
- L’avis d’ITAMA :
Ce devoir de respect est déjà présent mais il est peu contrôlé et peu exigeant. C’est donc les mesures de contrôle, non détaillées, qui pourraient apporter une évolution à ce sujet.
12 – Séjour d’au moins 6 mois par an en France durant les 10 ans de validité de la carte de résident pour pouvoir la renouveler
- Ce qui changerait :
Les ressortissants étrangers ne pourraient pas passer plus de 3 années consécutives hors de France. Il ne serait plus possible d’être sur le territoire français uniquement quelques jours par an pour avoir le droit de renouveler son titre de séjour.
- L’avis d’ITAMA :
Les titulaires de la carte de résident de 10 ans seraient impactés. Les retraités devraient ainsi rester au moins 6 mois par an en France pour continuer à toucher leur pension française.
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